Les moments de chaos

La journée parfaite avec les enfants, quand tout se passe à merveille, sourires greffés aux visages, bisous à profusion, rires dans la maison… de 8h du matin à 8h du soir… ça n’existe pas ! Alors nos reportages, bien sûr, relatent aussi cette vérité. Bien des années plus tard, les enfants devenus grands riront bien de se voir dans ces situations délicates… bouderies, bêtises, grosses colères ! Cependant, lorsqu’on est derrière son appareil photo, il n’est pas toujours simple d’être confronté à cela ! Comment chacune d’entre nous vit elle ces moments de chaos ?

© Sybil Rondeau

Mlle C a fait une grosse bêtise… et la voilà au coin, penaude, espérant que ça ne dure pas trop longtemps. Au cours d’une journée, j’arrive généralement à obtenir un panel de toutes les expressions des petits. À ces âges, on passe du rire aux larmes plusieurs fois dans une même journée ! Je me rappelle qu’on m’appelait « Jean qui rit, Jean qui pleure » quand j’étais enfant ! C’est aussi ce qui rend cette pratique intéressante à mes yeux. Je livre un portrait complet de ces familles, sans concession : un portrait vrai. Alors bien sûr je ne m’arrête pas de photographier dans ces moments là. Mais je ne dirai pas que je suis à l’aise pour autant. Parfois, je ressens tellement fort le désarroi de certains parents face à un enfant qui lève la main sur eux, ou qui manifeste tellement de colère et de violence. Il m’est vraiment difficile de prendre du recul et de rester neutre dans ces situations tendues. Je ne peux m’empêcher d’espérer dans ces moments là que les images pourront agir comme une thérapie.

© Nadine Court

Tout comme la famille parfaite n’existe pas, les enfants parfaits non plus et je dirais tant mieux ! En tant que photographe, j’ai besoin d’être animée par ce qui se déroule sous mes yeux (et devant mon objectif) et donc je préfère bien évidemment quand ça bouge et qu’il se passe plein de choses. Pour l’instant, je n’ai pas rencontré de situations très critiques. Il y a bien eu ce moment où le papa disputait sa fille qui s’était mise dans une position assez risquée et à ce moment, j’ai arrêté de shooter. Le fait de déclencher est une motivation pour un enfant, ça l’encourage à poursuivre son action donc lorsque l’action en question pourrait le mettre en danger, je me fais un devoir de ne pas lui donner l’impression que c’est intéressant en prenant des photos. Autrement, lorsqu’il s’agit de bêtises, de crises, de mauvais coups qui sont sans graves conséquences, je shoote parce que c’est la vraie vie et que c’est ce qui aura le plus de sens pour la famille dans quelques années.


© Maryline Krynicki

J’ai tendance à photographier tout et tout le temps. Ma limite est le respect de ceux que je photographie. Si je sens que ma seule présence ou le fait que je photographie un moment gène quelqu’un, soit je m’éloigne et je me fais plus discrète pour photographier, soit j’arrête complètement de faire des images. Il arrive lors d’un reportage que l’on sente cette gène ou que photographier un mauvais moment amplifie les choses. Ce n’est pas mon objectif et donc je préfère parfois poser l’appareil plutôt que d’augmenter le chagrin ou la gène d’un enfant. Cette image est typique de ce genre de situation. Il s’agit d’une scène de dispute entre mère et fille. La petite fille m’a vu faire des photos et s’est énervée encore plus. J’ai donc tout stoppé et suis partie faire des photos ailleurs. Cinq minutes après, tout était oublié, mais, pendant ce moment, je ne me voyais pas insister par respect pour l’enfant. Maintenant, si elle ne m’avait pas vu, j’aurais continué sans soucis car ces instants-là font aussi partie de la vie de famille.

© Marine Poron – Ernestine et sa famille

Une situation récurrente en reportage de famille (et pour tous les photographes de famille), c’est la phase « je fais mon intéressant ». La venue d’un photographe à la maison n’est pas neutre, cela interfère avec la vie de famille et cela peut provoquer des comportements excessifs chez les enfants. Selon les âges, cela se manifeste de manière différente et il faut souvent passer par ce moment là pour se faire accepter. L’enfant vous teste et il faut savoir « réussir l’épreuve ». Je mets fin le plus vite possible à ce comportement, en arrêtant de photographier l’enfant à chaque fois qu’il « fait l’intéressant ». Mais cela n’est pas toujours facile, il faut souvent faire preuve de psychologie enfantine pour s’adapter à la situation. Parfois, l’enfant cherche à gâcher les activités des autres, ou à se mettre en danger, ou bien il cherche ses parents qu’il sent plus cools qu’à d’ordinaire… Autant de situations où il faut trouver la bonne attitude. Et il faut aussi rassurer les parents : ce type de comportement est tout à fait normal!

©Annie Gozard

Le reportage sur la longueur permet de saisir une variété de moments et de connexions entre les membres de la famille. Les moments de chaos en font partie. Le plus souvent, l’épisode chaotique est court et sans conséquence. Et puis, parfois, la situation est confusionnante.

Dernièrement, lors d’un reportage famille, un adolescent a piqué une crise d’ado. Le niveau sonore a grimpé d’un coup, l’atmosphère est devenue très tendue, les gestes violents. J’ai cessé de prendre des photos. J’ai éprouvé une sorte d’indécence à l’idée de photographier ce moment (pourtant terriblement photogénique !). Un peu plus tard, l’ado a remis ça mais plusieurs tons en-dessous. Le reste de la famille a ignoré cette nouvelle crise de colère. J’ai alors réagis différemment. Je l’ai intégré dans ma composition, sans en faire mon sujet principal. La crise est alors suggérée. Sans connaître le contexte de la prise de vue, il est impossible de deviner ce qu’il se passe. La photo raconte un moment de la vie de l’ado pour ceux qui ont vécu la scène mais sans appuyer sur la rudesse du comportement.

Pour résumer, je dirais que dans les situations de chaos, je me cale sur les réactions des autres, leur rythme pour ne pas gêner le déroulement des événements ni interférer dans le comportement des enfants et des parents. 

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