Débat : la nudité dans nos reportages ?
A l’origine, notre collectif a été créé comme un espace d’échange et de partage sur nos pratiques professionnelles (de documentaire de famille, évidemment). Et nous avons souvent, entre nous, des débats ou des questions qui révèlent la diversité de regards de chacun. Il nous a semblé qu’un certain nombre de ces débats étaient pertinents, tant dans le cadre du documentaire de famille, que du reportage ou de la photo en général. Alors nous avons décidé de partager avec vous certaines de ces questions. Vous pourrez aussi nous dire ce que vous en pensez, comment vous voyez les choses en tant que maman, papa, grand-parent, professionnel etc.
La question du jour est la suivante :
Comment traiter la nudité dans nos reportages ?
Dans le reportage de famille, nous sommes souvent confrontés à la question de nos limites, faut-il photographier ou non, diffuser ou non, où s’arrête t-on ? Concernant la nudité des enfants, qui généralement n’en ont pas conscience, la question mérite d’être posée. Quelles sont les limites de chacune d’entre nous ?
Je n’ai jamais ressenti de gêne de la part des parents en ce qui concerne la nudité de leurs enfants sur mes images. Ils ont vu mon travail, ils m’accueillent chez eux et me font confiance. Ils savent que ces images sont d’abord pour eux, et que, s’ils ne le souhaitent pas, elles ne seront pas diffusées. La limite à propos de la nudité, elle vient de moi et elle est celle ci : je ne montre pas de nudité frontale. Tout simplement parce que je ne la trouve pas esthétique, je ne la trouve pas nécessaire non plus. Au delà de ça, c’est pour moi une question de respect. Je m’identifie sans doute un peu trop à eux… Est-ce que je mets de la pudeur où il n’y en a pas encore ? Je ne sais pas… le fait est, naturellement, je m’arrange pour cadrer mes images de façon à la cacher autant que possible.
Comme Sybil, je n’ai jamais ressenti de gêne de la part de mes clients. Ils m’ont choisi pour mon approche documentaire de la photo de famille et donc je viens photographier leur quotidien tel qu’il se présente. Dans les familles que je viens photographier, il y a souvent des enfants en bas âge. Au-delà du contexte du bain, cela leur est naturel, à leur âge, de courir dans tout l’appart cul nu et devant tout le monde. Cette liberté, cette insouciance, c’est justement, pour moi, quelque chose qui raconte l’enfance.
En situation de reportage documentaire, je fais des photos tout le temps. Et comme la situation est normale, elle ne provoque pas de gêne chez moi au moment de la prise de vue. Ensuite, au moment du tri des images, je peux être amenée à garder des photos où la nudité est montrée de manière frontale mais seulement s’il se passe dans l’image quelque chose d’autre d’intéressant. Bien sûr, de la même manière que je change les prénoms et la localisation de mes reportages dès lors qu’il y est question d’enfants, je ne diffuse jamais ces images de corps tout nus.
Dans le cadre d’un reportage documentaire sur le quotidien d’une famille, l’heure du bain est un moment clé de la journée que nous souhaitons tous/toutes immortaliser. C’est à ce moment que se pose la question de la nudité. En général, nous en avons déjà discuté avant avec les parents pour être sur la même longueur d’ondes : s’ils n’y voient pas d’inconvénients, je photographie ce moment tel que je le vois, sans retenue. Ils auront les images mais la publication de celles-ci ne se feront pas sans leur accord. Dans tous les cas, comme les collègues, pas de photos de face, même si les parents me donnaient leur accord. Une photo de dos, aucun souci si la photo mérite d’être vue, si elle raconte vraiment quelque chose de fort. Mais pour les photos de face, comme il est impossible sur la toile de maîtriser tous les aspects de la diffusion d’une image, je préfère m’en abstenir. Et puis les enfants sont encore trop petits pour donner leur consentement à cette exposition de leur nudité. Je ne sais pas si le fait d’être une maman impacte mon point de vue sur la question mais c’est très probable. J’ai publié sur mon site beaucoup de photos de mes enfants mais jamais de photos d’eux nus.
Photographier le quotidien nous amène forcément à photographier des moments comme la toilette des enfants, l’habillage et le déshabillage. Ce sont de super moments, souvent très drôles, que les enfants passent avec leurs parents ou seuls lorsqu’ils sont assez grands. Sur mes reportages, les choses se font très naturellement, les parents et les enfants ont très vite tendance à oublier que je les photographie. Du coup, j’observe beaucoup les réactions des enfants à ces moments clés pour sentir s’ils sont plutôt gênés ou pas du tout. Cela se voit très rapidement et je respecte toujours leur pudeur. Lorsqu’un enfant se met à danser en culotte ou faire le clown dans le bain, c’est qu’il est très à l’aise et donc je n’hésite pas à faire des photos. Par contre, quand je vois qu’il se renferme un peu, qu’il fait vite pour s’habiller ou se déshabiller, je lui demande (s’il est grand) ou je demande à ses parents si c’est ok pour que je shoote à cet instant. Les enfants sont très honnêtes et ils savent nous faire comprendre lorsque l’on est de trop dans la salle de bain ou dans leur chambre.
J’ai pris l’habitude, lors de mes reportages, de toujours cadrer afin de cacher la nudité complète. Je pense que c’est ma propre pudeur qui joue aussi. Maintenant, lorsqu’il m’arrive de photographier un enfant tout nu, de face, je ne diffuse jamais ces photos-là non plus. Ce sont des souvenirs uniquement pour les parents et les enfants.
La question de la représentation de la nudité (qui plus est des enfants) est un sujet sensible car il confronte les deux aspects de notre métier : rendre compte du réel, capturer des images et les donner à voir, les confronter au regard du public. Ces deux étapes sont bien distinctes mais sont nécessairement liées l’une à l’autre. Même si le reportage de famille est d’abord à destination de nos clients (la famille), il est vital pour le photographe de pouvoir montrer son travail à un cercle plus large.
Il y a donc à la base, un accord avec les familles, une manière de travailler mais je crois que la décision de photographier ou non, de diffuser ou non, en dit beaucoup sur qui nous sommes, nos éducations, la société et l’époque dans laquelle nous vivons. C’est un questionnement régulier, car il montre des limites qui sont souvent purement contextuelles. Je me souviens m’être fait cette réflexion, il y a quelques temps, en regardant des vieux films de famille. Nous (Mes frères, sœur et moi) y étions nus à longueur de temps et je me suis rendue compte que je n’avais jamais laissé mes enfants courir nus sur la plage. Même famille, autre époque, autres mœurs.
De formation photojournalistique, je considère que montrer la réalité de la vie quotidienne, c’est en montrer tous les aspects, de manière spontanée et sans à priori. Pourtant, je me suis rendue compte à de nombreuses reprises, qu’un certain nombre de « filtres » viennent interférer avec cette volonté, au moment de la prise de vue, de la sélection des images ou de leur diffusion. Selon le contexte, il y a des moments que je ne vais pas prendre en photos car ils me semblent trop « crus », et il y a des photos que je ne vais pas sélectionner pour les mêmes raisons. Pour la question de la diffusion, c’est là que ma « censure personnelle » marche le plus fort :), pas de nudité complète, pas de noms, peu d’infos sur mes clients.
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Super article :)
La nudité dans les photographies, renvoie à sa propre perception de la nudité et de sa nudité.
Soit de la pudeur, soit de la liberté.
Et c’est sans doute cette liberté qui rend les enfants heureux, pouvoir bouger sans contraintes, sans vêtement et nu alors que ce n’est pas « bien » de le faire dans la rue.
Documenter pleinement, totalement la vie et ses petits bonheurs, ne peut pas se faire en omettant certains moments de vie. Dont le rituel de la douche et toute la douceur qui va avec.
RépondreMerci Thiebauld, belle annalyse ;)
RépondreLe bain des enfants, l’habillage, n’ont jamais été pour nous des moments à ne pas immortaliser.
Étant nous même photographes, c’est tout naturellement que nous avons laissé Maryline prendre des photos de nos enfants, à tout moments, habillés ou non. D’autant plus que nous avons de jeunes enfants qui adores se promener en sous vêtements et faire les sots ;)
J’estime également que cela fait partie de l’enfance, cette naïveté, cette insouciance, ce total abandon des convenances, que nous parents, avons. La nudité, c’est naturel, c’est pure, c’est beau, comme un enfant.
RépondreMerci Jessica, le point de vue d’une cliente, une maman( et papa) et une photographe en un seul commentaire! top!
RépondreTrès bon article. Je trouve que la nudité dans les reportages famille a sa place. Elle fait partie du quotidien surtout avec de jeunes enfants. Je pense que l’on se limite tous a ne pas montrer dans nos publications et généralement lors de la prise de vue je coupe au cadrage lorsque l’enfant est de face pour deux raisons : je ne vois pas d’intérêt esthétique et je me dis que ce ne sont peut être pas ce type de photos que l’enfant souhaitera retrouver dans son album de souvenirs une fois qu’il sera adulte. Mais je pense que c’est aussi beaucoup lié à notre époque, car nos parents ou grands-parents n’avaient pas de soucis à intégrer ces moments que l’on retrouve couramment dans les albums de famille :) Ceci dit, avec la diffusion sur internet, je pense effectivement que les photos d’un enfant totalement nu et de face si elles sont prises dans le cadre du reportage doivent rester dans le cadre privé.
RépondreConcernant les séances / reportages avec de futurs parents ou de jeunes enfants, je privilégie beaucoup le peau à peau, c’est naturel et tellement beau et rassurant aussi pour les enfants. C’est finalement l’état d’esprit qui est important. Si une photo n’est pas réalisée dans un cadre sein elle mettra mal à l’aise, alors qu’une photo d’un enfant nu plein de vie qui cours chez lui aura tendance à donner le sourire :)
Merci en tout cas pour ce sujet de réflexion ! C’est un article vraiment intéressant à lire.
Merci pour ce partage d’expérience Julie et merci pour le retour, c’est encourageant!
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